125/5 ans AfricaMuseum : « Nous devons affronter notre passé et bâtir ensemble un lieu où les visiteurs peuvent s’émerveiller de la beauté de la nature » (Bart Ouvry)

Dossier de la rédaction de BIPMedia par Ghislain Zobiyo

Bruxelles, 30 mai (BIPMedia) 

À l’occasion de ses 125 ans d’existence et 5 ans de rénovation baptisé « 125/5 ans », le Musée d’Afrique(AfricaMuseum) a voulu marquer d’une pierre blanche ce moment historique, et poursuivre sa mue dans le processus de décolonisation et d’ouverture. Après la rénovation de l’infrastructure qui a pris fin en 2018 au terme de cinq ans de travaux pour donner un éclat moderne au musée, un nouvel espace sur le racisme intitulé « Parlons du racisme ! » (Let’s talk about racism!), a été inauguré le 13 mai dernier en présence d’une centaine de personnes.  A l’entame de son mandat le 2 mai dernier, le nouveau directeur du musée, Bart Ouvry, ancien ambassadeur de la Belgique au Kenya, en République Démocratique du Congo et au Mali, compte poursuivre l’œuvre d’ouverture du musée dans la dynamique d’établir des partenariats avec l’Afrique, avec la diaspora africaine, pour bâtir ensemble un lieu et un avenir où les familles, les visiteurs peuvent s’émerveiller de la beauté de la nature et des expositions culturelles contemporaines. 

Initialement connu sous le nom de « Musée royal d’Afrique Centrale », et rebaptisé « Musée d’Afrique » après sa rénovation, ce musée a été créé en 1898 à l’initiative du roi Leopold II. Il abrite des œuvres d’art, des objets artisanaux, des spécimens d’animaux et de végétaux ainsi que des documents historiques provenant principalement de la République Démocratique du Congo, du Rwanda et du Burundi. « Le Musée regorge à ce jour, un total de 120.000 objets ethnographiques, plus ou moins 8.000 instruments de musique, le nombre de spécimens naturels est proche de 10.000.000 », nous a confié Mr Ouvry dans une interview accordée à Xinhua News Agency et à Brussels Information le 11 mai dernier.  « Le musée d’Afrique est l’une des collections de spécimens et d’objets ethnographiques africains les plus importantes au monde, », a-t-il ajouté.

L’événement « 125/5 ans » organisé par l’AfricaMuseum, porte un regard critique sur l’histoire coloniale et interroge sur le rôle du musée dans le passé, son rôle  dans le présent et le rôle qu’il pourrait jouer dans le futur.

Ce musée a été pendant de longues années, un instrument de la propagande coloniale du roi Leopold II, à la fois pour montrer toute la richesse qu’il avait pillée au Congo, au Rwanda et au Burundi, mais surtout pour renforcer son autorité auprès du peuple belge. Ce musée a également contribué à propager des stéréotypes racistes et discriminants à l’égard des Africains, à l’instar du « zoo humain » organisé lors de l’Exposition internationale de Bruxelles en 1897 dans la section congolaise à Tervuren. « Je crois que notre passé est clair, on ne peut pas le cacher. On sait très bien que ce musée a été fait à l’époque coloniale. Il a été fait pour montrer le travail colonial. Certains disent que c’est un musée de propagande. C’était aussi un musée qui dès le début, se voulait scientifique », a soutenu Mr Ouvry. 

Loin de cacher son passé, le musée d’Afrique compte l’affronter avec un objectif, déconstruire l’image coloniale véhiculée autrefois par ce musée aussi bien dans la forme que dans le fond. « Tout passe, sauf le passé », peut-on lire en 4 langues : Néerlandais, Français, Anglais, et Allemand, dès l’entame de la visite du musée. « Nous voulons voir en face notre passé, mais il faut le contextualiser, il faut le montrer. Déjà à l’époque, il y avait quand même des controverses sur certaines pratiques coloniales. Aujourd’hui, il est clair que l’œuvre coloniale n’est plus acceptable, certainement dans nos valeurs telles qu’elles sont aujourd’hui. Et donc on a actualisé le musée. Mais dans l’avenir, il est clair que nous devons aller plus loin parce que la société change. Je peux vous dire que ce qui s’est passé ces dernières années avec Black Lives Matter (La vie des Noires compte), c’est quelque chose qui a fait évoluer les esprits », a expliqué Mr Ouvry. 

Avec les travaux de rénovation entamés en 2013, le musée s’est engagé dans une réflexion critique sur l’influence du colonialisme dans la société. L’événement « 125/5 ans » du musée d’Afrique marque une nouvelle étape de son histoire et surtout dans son processus de décolonisation. A cette occasion, le musée a organisé un Museum Talk sur « sa contribution au racisme et à l’antiracisme pendant l’époque coloniale et après les indépendances de la République Démocratique du Congo, du Rwanda et du Burundi ».

Dans cet espace dédié à la lutte contre le racisme, « Let’s talk about racism, « on essaye d’expliquer certains réflexes que l’on voit dans la société. Des personnes parfois très bienveillantes mais qui ont une teneur raciste. Donc là, on a un rôle à jouer. Je crois que si toute cette discussion nous permet d’avoir plus de respect mutuel entre Africains et Européens, d’avoir aussi plus d’empathie, je crois que la discussion aurait été utile. Mais je voudrais que la discussion soit utile et nous permette de progresser. Qu’elle évite la polarisation et l’instrumentalisation pour des raisons politiciennes ou autres que je veux éviter, et qui n’a pas de place dans notre musée », a soutenu Mr Ouvry.

Let’s talk about racism est un espace à vocation d’éduquer et de sensibiliser tout visiteur du musée, mais aussi le grand public sur la question du racisme. Dans cet espace on trouvera sur le sol, des marques sur quelques sujets sur la discrimination ou le racisme, traités par les médias. Tel est le cas de la manifestation à Bruxelles le 06 juin 2020 de l’événement « Black Lives Matter » en soutien à George Floyd, mort par asphyxie par le genou du policier blanc qui le maintenait au sol au niveau de son cou. Tel est aussi le cas de la violence verbale (racisme, homophobie, sexisme, …) qui gangrène le football amateur, ou encore de la condamnation pour violence raciste de l’homme qui avait jeté une adolescente sur les rails d’un train, le 15 juin 2020 à titre d’exemples.

Dans les efforts entrepris pour changer l’image du musée, le nouveau directeur général reconnaît que « La décolonisation du musée africain est un processus complexe et à long terme, qui nécessite des efforts et des dialogues continus ». 

Le musée a rouvert ses portes en 2018 après sa rénovation (lien du reportage vidéo de la rénovation https://www.bipmedia.be/fr/apres-5-ans-renovation-le-musee-de-lafrique-rouvre-ses-portes/). Il a été officiellement renommé musée d’Afrique et présente désormais une nouvelle approche qui se veut un espace d’échanges, de réflexion et de débats sur le passé colonial de la Belgique en Afrique, mais aussi un lieu où se pense le futur de l’image du musée pour pouvoir avancer. Pour Mr Ouvry, le musée doit être aussi un lieu de convivialité et d’émerveillement sur la magnificence des expositions culturelles du passé et du présent ». 

Comment représenter une œuvre contemporaine de l’Afrique dans un musée ayant une histoire coloniale? La transformation de la salle Rotonde de l’AfricaMuseum est un excellent exemple. Cette salle abritait dans le passé 16 sculptures reflétant l’idéologie et la propagande coloniales, et célébrant les Belges tout en rabaissant les Africains. Après la rénovation et au centre de la Rotonde, la sculpture du roi Léopold II a été remplacée par une immense sculpture d’une tête en bois ajourée appelée « Nouveau souffle ou le Congo bourgeonnant », créée par Aimé Mpane, plasticien d’origine congolaise. Cette œuvre symbolise la libération du peuple congolais de l’ombre du colonialisme et l’espoir d’un avenir meilleur. Aimé Mpane a réalisé une autre œuvre en bois ajourée, celle du crâne du Chef Lusinga, placée également dans la Rotonde et face à la première. Lusinga était un chef traditionnel puissant, dont la tête fut tranchée pour son insoumission au blanc. Son crâne fût emmené en Belgique.  Ces deux têtes, l’une symbolisant le passé colonial et l’autre l’avenir, traduisent la volonté des responsables du musée d’écrire une nouvelle page de l’histoire dans la décolonisation et la coopération entre la Belgique, la République Démocratique du Congo et bien d’autres pays.

La volonté de décoloniser le musée se traduit aussi dans la collaboration entre Aimé Mpane, plasticien congolais et son collègue belge Jean Pierre Müller. Ils ont réalisé ensemble, 16 voiles semi-transparents accrochés à distance des statues existantes, et sur lesquelles sont imprimées des images faisant référence aux faits historiques et culturels de l’Afrique précoloniale et coloniale. Ces voiles offrent aux visiteurs un nouveau regard sur l’époque précoloniale et coloniale et la culture africaine.

En plus des œuvres d’Aimé Mpane, il y a également celles d’autres artistes africains contemporains. « Je crois que le mot décolonisation est un mot très large et a beaucoup de significations politique, culturelle, philosophique. Mais pour moi, l’essentiel c’est que maintenant nous avons un musée avec les Africains. Il est important plus que jamais de travailler en partenaires, de travailler en coopération avec nos collègues africains, et c’est bien la raison pour laquelle je suis venu ici », a souligné Mr Ouvry.

Autrefois très fermé à toute collaboration avec l’Afrique ou même sa diaspora bien que son nom l’indique (musée d’Afrique), « aujourd’hui le musée a des partenariats avec une dizaine de pays africains tels que la République démocratique du Congo, le Burundi et le Rwanda pour mener des recherches scientifiques conjointes et partager nos compétences professionnelles et nos connaissances », nous a confié Mr Ouvry. Le musé reste ouvert à une coopération plus large avec d’autres pays. Tel est le cas du Congo Brazzaville, où le musé a une coopération scientifique. C’est le cas également de la Tanzanie, du Malawi à titre d’exemples. « Avec le Sénégal par exemple en termes muséal, nous avons une coopération. Ça fait partie justement aussi de la décolonisation. Notre volonté c’est d’avoir une relation scientifique qui correspond d’ailleurs aussi à la volonté de la Belgique d’avoir des relations avec des pays partenaires en dehors de ceux qui sont nos anciens partenaires. Il y a cette nécessité de diversifier et d’élargir notre intérêt pour l’Afrique », a-t-il poursuivi.

Dans la volonté d’ouverture du musée d’Afrique, Bart Ouvry et Guido Grisels, qu’il a succédé, prenaient part le 25 avril 2023 à Dakar au Sénégal, à un forum international qui réunissait soixante directeurs de musées africains et européens de 38 pays. L’objectif de cette rencontre était de mettre en place, un réseau mondial des musées afin d’augmenter et de renforcer les capacités. « On a beaucoup parlé de comment améliorer les capacités. J’ai appris aussi pour mon musée. L’échange d’informations, c’est là où je crois que le partenariat en matière culturelle en matière scientifique est naturel et c’est quelque chose qui s’impose. Si on n’est pas dans la démarche de partenariats, nous ne faisons pas bien notre boulot », a-t-il expliqué.

Il est important d’engager un dialogue, en montrant l’Afrique telle qu’elle est aujourd’hui et en montrant la voie vers un avenir meilleur, pour les générations futures, a insisté le nouveau directeur du musée.

Dans l’œuvre de rénovation du musée d’Afrique, la diaspora africaine y a contribué. C’était aussi la première réelle collaboration depuis l’existence de ce musée entre les responsables du musée et la diaspora africaine.  Des efforts sont consentis pour établir des relations structurées avec les associations africaines en Belgique. « Il faudra le faire en veillant à avoir une bonne représentativité d’un point de vue territorial. Il faudra veiller à ce qu’on ait un renouvellement régulier, pour qu’il n’y ait pas sclérose. Il faudra aussi veiller à avoir un dialogue en confiance. Et pour moi donc, c’est une de mes priorités pendant les mois prochains » a indiqué Mr Ouvry. Le musée cherche à renforcer sa relation avec la diaspora africaine, notamment en les impliquant dans les activités, les expositions et les projets du musée, à l’instar du projet Let’s talk about racism, à titre d’exemple. «  L’objectif est de créer un espace où la diaspora africaine se sente représentée et valorisée », a souligné Mr Ouvry.

Mr Ouvry a déjà déployé sa feuille de route pour mettre à profit, l’activisme très présent dans la communauté de la diaspora en Belgique. « Pour nous, avoir un dialogue avec la diaspora africaine fait partie de notre volonté. Aujourd’hui, j’ai un rendez-vous avec un certain nombre de représentants de la diaspora. On va prendre le temps, mais je veux bien structurer cela pour avoir ce dialogue parce que la diaspora a une vision quand même particulière ».

Le musée à lui seul est un outil pédagogique. Il accorde une grande importance à l’éducation et à la sensibilisation des jeunes. « Nous recevons quasiment chaque jour, surtout en semaine des écoles qui viennent ici. Pour moi c’est une tâche très importante sur l’histoire. Le nouveau directeur du musée d’Afrique appelle à montrer l’histoire de l’Afrique dans une approche holistique qui inclut la période avant la colonisation, la période colonial et l’histoire postcoloniale de l’Afrique. « Il est important de montrer l’Afrique telle qu’elle est aujourd’hui, de montrer toute la richesse de la culture citadine. Par exemple au Congo les « Sapeurs », c’est une culture. Il faut montrer les artistes, montrer la musique n’enfermez pas l’Afrique dans sa dimension postcoloniale. C’est ça pour moi aussi, la décolonisation.  Moi j’aime beaucoup cette culture africaine qui continue à enrichir aussi notre culture. Cet échange est très important ».

Le musée publie régulièrement des outils pédagogiques mais aussi des documents scientifiques, y compris le travail de scientifiques africains. « Pour moi, l’essentiel c’est que nous devons évoluer. L’enseignement de l’histoire diffère d’il y a 40 ans et d’il y a 100 ans, quand on était encore en pleine époque coloniale. Il était important pour nous de développer ces outils, mais je dirais encore que le plus important, c’est de partager nos capacités, de partager notre outil avec d’autres, comme on dit «train the Trainers », c’est à dire former ceux qui peuvent former. Et donc pour moi, par exemple le fait que nous avons plus de 60 doctorants qui travaillent ici, ou qui qui viennent régulièrement est important », a étayé Mr Ouvry.

La valeur des musées réside dans la transmission de la culture et l’inspiration de l’histoire. Seuls ceux qui osent affronter les défis complexes liés à l’histoire et à la réalité, ainsi qu’à la fusion et aux collisions entre culture et époque, peuvent remplir leur mission culturelle et historique.

Dans sa mission, le nouveau directeur du musée d’Afrique doit relever le défi du financement des activités du musée. « Les besoins dépassent les budgets disponibles. Donc j’ai vraiment des choix à faire, ça je ne le cache pas », a-t-il indiqué. Faire du musée d’Afrique un endroit apaisé, où les gens peuvent venir avec leurs idées, où on exclut aucune idée, sauf l’insulte, la violence, la violence verbale, la violence physique, … tel est le grand défi à relever décrit par le nouveau directeur. « Nous devons être un lieu de débats et on exclut aucune tendance. Mais je crois fermement qu’entre les extrêmes, il y a un chemin, un chemin lumineux qui nous permet de jouer un rôle sociétal positif », a-t-il ajouté. 

Sur la question de la restitution Mr Ouvry a été très clair. D’après la loi belge, « tout objet qui a été volé pendant cette période coloniale, que ce soit au Congo au Rwanda ou au Burundi, devient une propriété de l’État de provenance. Bien sûr, le processus doit être un processus ou nous allons décider cela ensemble.  Une Commission est en formation du côté congolais, où quand même l’essentiel du travail se situe avec nos collègues congolais, sans oublier les autres. Mais là vraiment Il y a un grand travail à faire. Nous voulons le faire en cocréation en véritable partenariat. Et puis le retour physique (éventuel) de ces objets dépendra des possibilités, des capacités sur place. Mais je voudrais un peu élargir la problématique. Je crois qu’il était important, pour les Africains de se réapproprier leur histoire », a expliqué Mr Ouvry.

Le nouveau directeur du musée appelle à une coopération élargie et à ne pas se limiter uniquement aux objets volés. « Nous devons coopérer et écouter beaucoup notre partenaire Congolais ici, mais à terme, je crois que nous devons coopérer avec tous nos partenaires, parce que certes, les 2/3 des collections sont en provenance de la République Démocratique du Congo, du Rwanda et du Burundi, mais 1/3 des collections ici sont en provenance d’autres pays. Par exemple si je ne me trompe pas à peu près 1500 objets viennent du Mali ». 

Les avantages de cette coopération élargie avec le musée d’Afrique peuvent être très bénéfiques à l’Afrique. « Là on parle d’objets ethnographiques, il y a aussi tous les spécimens biologiques, géologiques, où par exemple la digitalisation ouvre d’énormes perspectives pour l’étude partout. Parce que ce n’est pas qu’une relation bilatérale, c’est aussi une relation. Si on peut permettre aux Africains de se faire connaître mondialement en Chine, aux États-Unis, en Asie, c’est aussi un objectif. Nous pouvons coopérer dans une diplomatie africaine, mondiale, une diplomatie culturelle et scientifique » a relevé Mr Ouvry.

« Nous voulons être un musée où les visiteurs, les familles peuvent venir et peuvent s’émerveiller des beautés de la nature. Il faut dire que beaucoup des pièces qui sont ici proviennent du Congo. Elles font partie d’œuvres d’art qui sont parmi les plus raffinées, les plus belles. Il y a aussi celui qui vient et qui s’émerveille devant ça. Mais on veut aussi montrer quand même l’histoire, qui fait partie de cela. On a aussi, par exemple, la volonté de montrer la question des ressources qui est controversée. Nous voulons montrer l’Afrique telle qu’elle est aujourd’hui, et aussi montrer quel est l’avenir, parce qu’il faut un meilleur avenir pour nos enfants, c’est important » a-t-il conclu.

About Ghislain Zobiyo

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