Par Laurent Sery, Correspondant en Afrique de l’Ouest de Brussels Information Press avec la contribution de Ghislain Zobiyo
Abidjan, le 09 Juillet (BIPMedia)
A la recherche de la réconciliation nationale et de solutions à la crise sécuritaire, le président de la transition burkinabè, le Lieutenant-colonel Paul- Henri Sandaogo Damiba a rencontré certains de ses prédécesseurs, le jeudi 8 juillet dernier. Sur les cinq anciens chefs d’État burkinabè invités, seuls Blaise Compaoré et Jean-Baptiste Ouédraogo ont effectué le déplacement au palais présidentiel de Kossyam.
Cette présence de l’ex-président Compaoré au pays pour la concertation en vue de la réconciliation nationale est toutefois jugée illégale, étant donné qu’il est l’objet d’une condamnation par contumace à perpétuité depuis le 06 avril 2022 par le tribunal militaire de Ouagadougou.
Si officiellement Yacouba Isaac Zida (Président de la transition du Faso du 1er au 21 novembre 2014) qui réside au Canada, n’a pu se soustraire aux contraintes administratives qui s’imposent à lui pour être à cette rencontre , Michel Kafando (Présient de la transition du Faso du 21 novembre 2014 au 29 décembre 2015), a brillé par son absence pour des raisons de santé tout en envoyant « un message de soutien à l’initiative ». Roch Marc Christian Kaboré, président du Faso du 29 décembre 2015 au 24 janvier 2022, n’a pu rejoindre le lieu du rendez-vous car, empêché de quitter son domicile par un groupe de sympathisants et militants du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), son parti.
L’objectif de cette concertation était d’amorcer la réconciliation nationale, en faisant un front commun face au terrorisme.
Le président Sandaogo Damiba faisant fi de la condamnation à vie de l’ancien président Burkinabé Blaise Compaoré en avril dernier par la justice de son pays, pour son rôle dans l’assassinat de Thomas Sankara, l’a autorisé à rentrer au Burkina Faso pour consultation.
L’arrivée de Blaise Compaoré au Burkina Faso par un vol privé affrété par les autorités ivoiriennes, en vue de participer à cette réunion a suscité la grogne au sein de la population Burkinabé. D’autant plus qu’un mandat d’arrêt subsiste bel est bien contre Blaise Compaoré, qui ne jouit par ailleurs d’aucune amnistie.
Il faut dire qu’il y a une levée de boucliers des différentes formations politiques, de la société civile et des juristes contre cette initiative est contre la présence de l’ancien président Blaise Compaoré en terre Burkinabé.
Le Burkina Faso continue de subir les attaques meurtrières des djihadistes.
Vouloir rencontrer tous les anciens présidents ayant dirigé le pays après des élections ou suite à un coup d’Etat, dans le but de trouver des solutions à la crise sécuritaire et rendre concrète la réconciliation nationale est jugée par la majorité des Burkinabé comme une noble entreprise. Cependant les uns et les autres restent divisés sur « l’impunité de fait » de l’ancien président Blaise Compaoré, puisqu’il a reçu des garanties de la part du pouvoir de transition de Paul-Henri Sandaogo Damiba, pour fouler le sol Burkinabé alors que le 6 avril dernier, la justice Burkinabé l’a condamné à la perpétuité pour son rôle dans l’assassinat de Thomas Sankara.
Face à ce retour de l’ancien chef d’État du Faso, les ayants droits des victimes du coup d’État de 1987 demandent que « les autorités judiciaires prennent toutes leurs responsabilités ». Pour leurs conseils, la loi est claire : l’arrêt qui condamne Blaise Compaoré à la perpétuité dans l’affaire Sankara vaut mandat d’arrêt. Maître Ambroise Farama, avocat des parties civiles dans le procès des assassins de Thomas Sankara, décrit même une situation de « pure illégalité ». Le prédécesseur du lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba , l’ancien président Roch Marc Chritian Kaboré, renversé par une insurrection populaire a été empêché de quitter sa résidence pour aller à cette concertation.
Une foule nombreuse en signe de protestation de cette rencontre a bloqué le passage. Le secrétaire adjoint chargé de la formation politique et civique, Djéjouma Sanou, s’est exprimé en ces termes : « Je félicite les femmes et la jeunesse du MPP qui ont eu le bon réflexe de venir empêcher que Roch aille participer à cette mascarade de justice, de réconciliation nationale. Les militaires ont pris le pouvoir le 24 janvier pour dire qu’ils allaient lutter contre le terrorisme en soutenant que Roch Kaboré n’était pas à la hauteur des événements. Depuis, la situation n’a fait qu’empirer et, au lieu d’aller dans la recherche de solutions, ils sont allés chercher un autre artifice fondé sur le déni de justice. Parce que Blaise Compaoré est un repris de justice désormais. Il a été jugé. Il doit être déposé à la maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou. Il n’est pas digne de participer à une réconciliation puisqu’il ne se soumet pas à la justice ».
Même son de cloche du côté des syndicats des magistrats invitant le président de la transition du Faso, garant constitutionnel de l’indépendance du pouvoir judiciaire, à œuvrer sans condition et sans délais en sorte que le caractère sacré des décisions de justice soit scrupuleusement respecté.
Les autorités de la transition ont entamé une réconciliation nationale sans associer le peuple. Le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples estime que cette réunion a surtout révélé la véritable feuille de route de la junte au pouvoir : « La restauration des caciques du régime déchu de Blaise Compaoré et l’absolution de tous leurs crimes sous prétexte de réconciliation nationale ».
Le président de la transition Paul Henri Sandaogo Damiba est dans sa logique d’écarter toute application de la décision prise par les juges à l’encontre de Blaise Compaoré. A l’issue de la rencontre, le Lieuteunant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba a relevé que « l’urgence de la préservation de notre patrie ne nous autorise pas le luxe de perdre le moindre temps dans la polémique ». Il a par ailleurs souligné que des dispositions sont déjà prises pour poursuivre individuellement les concertations avec les absents à la rencontre.
L’ex- chef d’Etat Burkinabé était donc à nouveau sous les projeteurs et semble un pilier dans la stratégie du président de transition Paul-Henri Sandaogo Damiba en perte d’opinion favorable, et de renverser la tendance du peuple à travers une réconciliation nationale mal entamée, et en espérant de trouver les solutions à la crise sécuritaire que connait le Faso.
Est-ce donc la stratégie des autorités de la transition du Faso pour contourner la justice ? Certains Burkinabé s’interrogent. Rentré au pays sans être écroué après près de 8 années d’exil en Côte d’Ivoire, après avoir obtenu la nationalité ivoirienne, le président Blaise Compaoré bien qu’affaiblie physiquement semble libre de ses mouvements. Cette situation d’un condamné libre de ses mouvements, alors que certains de ses compagnons impliqués dans l’assassinat de Thomas Sankara en 1987 purgent leur peine, à l’instar du général Gilbert Diendéré questionne sur la force des décisions judiciaires vis à vis de l’autorité politique.