Les locaux du Secrétariat général des pays ACP (Afrique Caraïbes et Pacifique) basé à Bruxelles ont servi de cadre du 25 au 26 octobre 2016, au premier forum de l’organisation consacré au secteur privé. Cette première découle d’une prise de conscience des États ACP et de l’Union européenne, dans le cadre de la coopération conjointe entre les deux institutions, du rôle prépondérant du secteur privé dans la création de richesse dans les États du Sud.
Il s’agit de rendre le secteur privé compétitif dans un climat des affaires incitatif, qui sont des préalables à l’avènement d’une croissance durable, inclusive qui favorise la création d’emplois décents conduisant ainsi à la réduction de la pauvreté.
À l’ouverture des travaux, le Président de ce forum M. GNASSOUNOU Viwanou, Sous-secrétaire général du Groupe ACP, s’est réjoui de la tenue de cette réunion qui est une «concertation entre États membres, après un long processus au cours duquel chaque pays a pu tirer des leçons que seul, il ne pourra amorcer le développement en ayant pris conscience des investissements à faire dans l’industrialisation, dans le développement des chaînes de valeur agricole. Il fallait donc donner une nouvelle orientation après les échecs.»
C’est une reconnaissance du rôle du secteur privé dans le développement économique et social des États ACP qui, à travers les demandes d’appui du secteur, ont jugé de la nécessité d’assurer une plus grande cohérence dans les programmations des actions de développement du secteur privé (DSP), pour ainsi se prononcer sur une stratégie globale de développement.
Ceci est possible maintenant parce que les Chefs d’États et de gouvernements des pays ACP ont approuvé en décembre 2014, une stratégie de financement et de renforcement des capacités pour le secteur privé, suivie d’une autre stratégie ACP-UE allant dans le même sens et qui a conduit au financement depuis novembre 2015 du 11è FED (Fonds européen de développement).
Hormis les difficultés colossales à aplanir dont la principale est la diversité des secteurs privés qui rend ardue la phase de mise en œuvre des programmes de développement, il existe également des investissements peu performants. Tout comme le faible niveau d’entrepreneuriat, la limite des capacités techniques et de gestion, le manque de connaissances des normes et procédures internationales pour accéder au marché extérieur. L’accès limité aux crédits et financements, de même que le foisonnement du secteur informel restent des défis à relever afin d’atteindre les objectifs de développement économique et social dans les pays membres.
Faisant suite aux accords de Lomé et de Cotonou instaurant le partenariat ACP-UE, il a donc été négocié et conclu un financement du 11è FED (Fonds européen de développement) à hauteur de 600 millions d’euros qui, non seulement va permettre de résorber les difficultés ainsi énumérées, mais surtout d’élaborer un cadre permettant d’initier l’esprit d’entrepreneuriat à travers cet investissement qui sera mis à disposition des institutions régionales et sous-régionales pour que la création d’entreprises génère des emplois qui sont sources d’élimination de la pauvreté.
Pour que ces objectifs soient atteints, les États ACP ont associé à ce forum, en dehors de l’UE, des partenaires qui interviennent déjà dans la prise en charge des besoins du secteur privé, s’agissant surtout de l’Afrique.
Ainsi, Mme Ginette NZAU-MUTETA, coordinatrice Emploi des jeunes en Afrique auprès du Groupe de la Banque africaine de développement (BAD), tout en trouvant intéressantes les différentes initiatives développées tout au long desdites assises pour le secteur privé, relève néanmoins qu’il faudra passer à une échelle supérieure s’agissant de l’emploi des jeunes en Afrique. Car la problématique de l’emploi des jeunes dépasse ces initiatives et demande un surpassement des États et des partenaires en développement.
Pour notre interlocutrice, il est clair que face aux enjeux, avec 8 millions d’emplois à créer par an pour résorber le chômage, le montant du financement du 11è FED paraît insignifiant. «Il est estimé que 11 millions de jeunes entrent chaque année sur le marché du travail en Afrique et le secteur formel en produit 2 à 3 millions.» Elle poursuit: «dans le cadre de notre stratégie (Ndlr de la BAD) à créer 25 millions d’emplois pour les jeunes dans les dix prochaines années pour toute l’Afrique, il est nécessaire de fédérer toutes les synergies et de trouver une meilleure coordination pour tous les financements, avoir des effets d’échelle, aller à l’échelle pour trouver de manière durable et transformationnelle la question de l’emploi des jeunes en Afrique.»
Dans cette perspective, l’approche de la BAD se veut une approche d’écosystème dans laquelle il ne sera pas question de financer les projets de manière individuelle aussi intéressant ou aussi innovateur soit-il, mais de voir si au niveau macroéconomique, sectoriel, le cadre est favorable à la création d’emplois et s’il existe une coordination entre ces divers secteurs. Aussi la BAD sera-t-elle regardante pour que le système d’éducation existant et les filières de formation technique et professionnelle soient adaptés, s’il existe une passerelle entre eux et les besoins du secteur privé pour qu’à la fin des formations, les jeunes soient en stage, employés ou soient à même de créer leurs propres entreprises.
«Il est estimé que 75% des emplois à venir seront en auto-emploi. Ceci va être au cœur de la stratégie. Et dans le cadre de la préparation de cette stratégie, la BAD a identifié des secteurs phares, des secteurs porteurs qui vont créer beaucoup d’emplois et naturellement il s’agit des domaines de l’agriculture, mais pas l’agriculture telle que nous l’avions conçu traditionnellement, mais à travers la chaîne de valeur en mettant au centre les technologies de l’information et de la communication pour saisir l’opportunité qu’offre la quatrième révolution industrielle afin d’accompagner des jeunes ayant des projets innovateurs», renchérit la coordinatrice auprès du groupe de la BAD.
Pour la BAD, le principe sera ainsi de mettre l’accent sur un changement de mentalité pour que les jeunes comprennent que l’agriculture ce n’est pas seulement le paysan en milieu rural dans la production en amont, mais qu’il existe une chaîne de valeur en aval également dans la transformation des produits agricoles, la recherche et le développement des semences, le transport et la commercialisation de celles-ci pour ainsi devenir des «agripreneurs», des entrepreneurs agricoles.
Il est à relever dans le projet de financement agricole de la BAD que des décisions doivent être prises par les États pour stopper l’achat par milliers d’hectares, des terrains cultivables par les grandes multinationales occidentales et les géants asiatiques qui ont décelé que seul le continent africain dispose encore de plus de 63% des terres arables et fertiles dans le monde.
Notons que dans son projet de création d’emplois des jeunes, la Banque africaine de développement va décaisser sur les dix ans à venir 5 milliards de dollars pour mettre sur le marché de l’emploi en Afrique 25 millions de jeunes.
Tirant les résultats des deux jours de travaux, M. Viwanou GNASSOUNOU, Sous-secrétaire général des États ACP et Président des groupes de travail de ce forum s’est déclaré satisfait de la réussite des travaux intenses accomplis. «Il faut beaucoup plus de concertations. Beaucoup de choses se font sur le terrain par plusieurs acteurs notamment par des acteurs régionaux, mais aussi par des partenaires en développement qui travaillent avec nous. Mais on se rend compte que tout se fait de façon isolée, il n’y a pas un cadre de concertation où l’on pourrait partager les expériences pour avoir des impacts beaucoup plus prononcés.»
S’agissant des institutions régionales, M. GNASSOUNOU a précisé «qu’elles ont demandé à être prises en charge dans la conduite des activités et faire en sorte que les partenaires en développement qui viennent, puissent les accompagner au lieu du contraire.»
Répondant au souci des participants de la région Caraïbes et pacifique du manque de transfert de technologie et de compétences intra-ACP, le Sous-secrétaire général dit avoir pris mandat de s’assurer«que les expériences qui sont développées au sein des États membres soient mises à disposition pour que chaque région à son niveau puisse avancer dans son agenda au niveau du secteur privé.»
En conclusion des travaux de ce forum, M. GNASSOUNOU a divulgué le calendrier des étapes qui vont suivre dans le mécanisme de mise à disposition des entrepreneurs, actuels comme nouveaux, des fonds du 11è FED: «d’abord nous allons tirer une synthèse qu’on va partager avec les États membres, puis au niveau du comité des Ambassadeurs entériner les propositions et en faire une orientation politique qui sera validée afin de l’inscrire dans le marbre. Nous espérons d’ici le mois de novembre prendre les premières décisions en termes d’allocation des ressources et début 2017 les fonds seront disponibles pour les acteurs sur le terrain.»
Ce forum, premier du genre, a vu la participation des délégations des différents États ACP scindés en régions notamment les pôles Pacifique, Caraïbes, Afrique de l’ouest, du Centre, de l’Est et du Sud.
Dossier réalisé par Anani Sossou