Franchir de nouvelles étapes dans la coopération sino-africaine qui répondent aux réalités nouvelles entre la Chine et l’Afrique, telle est l’analyse de S.E.M. Grum Abay, ambassadeur de la République Fédérale d’Ethiopie en Belgique. Au moment où s’ouvre à Beijing (Chine) ce 03 septembre 2018 le 4ème Forum de la Coopération Sino-Africaine, l’ambassadeur a voulu faire le point avec Brussels Information Press sur l’état de cette coopération dans la perspective de renforcer celle-ci mais aussi de jeter de nouvelles bases d’une coopération beaucoup plus ambitieuse, une coopération en marche, solide qui apporte un développement tangible.
Propos recueillis à Bruxelles par Ghislain ZOBIYO
& Catherine Flore NGO BIYACK
1. Le 4ème Forum de Coopération Sino-Africaine qui se tiendra les 3 et 4 septembre 2018 à Beijing est très attendu. Que représente ce forum pour l’Afrique?
Ambassadeur Grum Abay:
Le sommet sera l’occasion pour les dirigeants africains d’évaluer les résultats de la coopération, en tenant compte des réalisations au cours des dernières années et au regard des accords signés entre l’Afrique et la Chine. C’est donc une très bonne plate-forme pour discuter et examiner des nouvelles orientations de cette coopération en tenant compte de l’évolution du monde et les défis de l’Afrique. Nous aurons aussi l’opportunité d’analyser ce que nous avons pu accomplir au cours des 3 dernières années depuis le dernier sommet, afin de franchir les prochaines étapes de la coopération qui répondent aux nouvelles réalités de la Chine et l’Afrique.
2. Quelles sont vos attentes pour ce forum?
D’une part l’Afrique a vu les avantages de sa coopération avec la Chine. Les attentes sont de mon point de vue de savoir comment pouvons-nous aller de l’avant dans cette coopération? Comment utiliser cette plate-forme pour nous aider dans nos efforts de développement, de création d’emplois, d’industrialisation des pays africains? Comment l’agriculture productive dans les secteurs manufacturiers des pays africains nous permettra de devenir des exportateurs de produits manufacturés et non de rester comme d’habitude à vendre nos matières premières ou nos produits agricoles. Je pense donc que les Chinois sont conscients de ces attentes des pays africains.
3. Quelle type de coopération existe-t-il entre la Chine et l’Afrique? Et comment promouvoir la coopération commerciale, l’un des objectifs du forum FCSA?
3 types de coopérations existent entre l’Afrique et la Chine, mais ce n’est pas la même chose partout en Afrique. Par exemple le commerce entre l’Éthiopie et la Chine pour l’instant, se concentre essentiellement sur les exportations de produits agricoles éthiopiens, en particulier les sésames, les oléagineux en général. C’est une part importante des exportations agricoles éthiopiennes. Dans les relations commerciales entre la Chine et l’Afrique, la plupart des pays africains exportent surtout les matières premières: pétrole, le gaz, minerais, …, mais ce n’est pas le cas pour toute l’Afrique. Vous ne leur en voulez pas, parce que c’est ce qu’ils ont. Et en plus l’économie chinoise a besoin de ces matières premières. Les Chinois quand à eux sont de grands investisseurs, ils ont la technologie, l’expérience et l’expertise, ils ont même une longueur d’avance sur la technologie. Les Chinois ont le savoir-faire et nous ne l’avons pas. Nous voulons donc développer des échanges commerciaux avec la Chine, apprendre leur technologie et développer des structures industrielles dans les domaines de la production agricole, de la technologie.
4. En plus de la relation commerciale entre l’Ethiopie et la Chine y’a-t-il d’autres aspects de cette coopération que vous voulez présenter?
La Chine est le plus grand partenaire commercial de l’Éthiopie. La relation entre la Chine et l’Ethiopie est stratégique. La Chine continue de soutenir les efforts de développement de l’Éthiopie selon priorités définies par le gouvernement éthiopien. Ainsi, la Chine et l’Ethiopie sont engagées dans la construction de parcs industriels dans différentes localités et dans différents secteurs en Ethiopie, mais aussi dans les projets d’infrastructures tels que les routes, les lignes de chemin de fer, les télécommunications et l’énergie. La Chine participe au renforcement des capacités en Ethiopie. Cette année, plus de 1250 Ethiopiens vont étudier dans 40 universités différentes en Chine pour le deuxième et le troisième degré. La Chine est le premier partenaire commercial de l’Éthiopie. Au niveau international, nous travaillons très étroitement avec la Chine au niveau des Nations Unies. L’Éthiopie est actuellement membre non permanent du Conseil de sécurité. Notre relation avec la Chine est donc positive.
5. En 2016 la Chine a engagé 36,1 milliards $ US d’investissements directes en Afrique, dans les grands projets d’infrastructures: construction de routes, chemins de fer, aéroport, port, barrage hydro-électrique, …. En retour l’Afrique fournit des matières premières souvent sous évaluées à la Chine. Peut-on parler de coopération « gagnant-gagnant »?
Le problème est que nous avons besoin de la Chine dans tous les aspects de la coopération pour développer nos économies, pour industrialiser l’Afrique, pour fabriquer des produits à plus ou moins égale valeur aux produits importés, mais aussi pour exporter les nôtres en dehors des matières premières. La Chine soutient l’Afrique dans le développement de secteurs industriels. Chaque pays africain doit voir et comprendre quelles sont ses priorités, ses capacités spécifiques et son orientation stratégique. C’est pourquoi en Ethiopie, nous ne nous concentrons pas sur les matières premières, mais sur l’industrialisation qui absorbe un grand nombre de travailleurs en créant des emplois pour nos jeunes.
6. L’initiative « Ceinture et route, l’agenda 2030 des Nations Unies, et l’Agenda 2063 de l’Union africaine, invite la Chine et l’Afrique à bâtir ensemble une communauté de destin, est-ce faisable?
Le projet n’est pas réalisable à moins que nous, tous les acteurs américains impliqués dans ce projet ne soyons vraiment engagés, que nous soyons vraiment prêts à payer la facture si nécessaire et que ce soit des projets partagés par nos populations. Nous avons eu jusqu’ici un engagement avec les Chinois et les résultats dont nous avons été témoins dans cette coopération, je pense que la partie africaine fera de son mieux pour obtenir des résultats dans ces 3 projets pris ensemble sinon cela va être désastreux. En tant qu’Africain je sais que nous n’avons pas d’autre choix, nous devons aller de l’avant.
7. Les investissements chinois peuvent-ils permettre à l’Éthiopie d’atteindre son objectif de pays à revenus intermédiaires en 2025?
C’est l’objectif et c’est exactement pourquoi nous sommes très fiers de notre coopération avec la Chine. Je prends l’exemple de l’AGOA que les Américains ont offert à l’Afrique. Maintenant, les entreprises chinoises investissent en Éthiopie dans des secteurs tels que le textile, le vêtement, les produits en cuir, les chaussures, les gants, …, où l’Éthiopie pourrait tirer profit grâce aux dispositions de l’AGOA. Nous venons de terminer la construction du sixième parc industriel. Le plus important réalisé par les Chinois et situé à Awassa, dans le sud de l’Éthiopie. L’idée est d’établir un parc industriel spécialisé dans un secteur dans divers endroits du pays. Le parc d’Awassa est spécialisé dans le textile et les vêtements. En créant ce parc industriel à Awassa, nous invitons toutes les entreprises du monde à venir investir en Éthiopie en utilisant la main-d’œuvre bon marché dont nous disposons pour produire des articles manufacturés de qualité et utiliser l’AGOA pour intégrer le marché américain avec des produits fabriqués en Éthiopie. Aujourd’hui, des marques internationales sont déjà établies dans le parc industriel d’Awassa et produisent des articles de qualité aux normes internationales. Nous apportons ainsi la technologie et le savoir-faire, créons des emplois pour nos jeunes, entrons dans le marché mondial du textile et des vêtements. Ainsi, la relation que nous avons avec la Chine est d’aider l’Éthiopie à passer d’une économie agricole à une économie manufacturière, tout en créant des emplois pour nos jeunes et en gagnant des devises. Ghislain ZOBIYO