BRUXELLES, le 09 avril (BIPMedia)
Une fratrie rwandaise présentait à ses invités du 6 avril 2022 à Bruxelles, la sortie de leur ouvrage intitulé « Résilience, crise des Grands-Lacs: témoignages d’une fratrie rwandaise après l’attentat du 6 avril 1994 ». Ce livre est avant tout la volonté de six frères et soeurs, d’honorer et de perpétuer la mémoire d’un père et d’un patriote, qui a oeuvré pour la construction de la paix au Rwanda.
Pour rappel, l’attentat perpétré le 06 avril 1994 à Kigali contre l’avion présidentiel rwandais avait coûté la vie à douze personnes, dont le président Juvénal Habyarimana, le président du Burundi Cyprien Ntaryamira, le chef d’Etat-major des forces armées rwandaises le général-major Déogratias Nsabimana ainsi que 9 collaborateurs plus l’équipage, de retour d’un voyage à Dar es Salaam en Tanzanie. Cet attentat du 06 avril a été le déclencheur du génocide au Rwanda.
De G à D, Denise Nsabimana et Alice Nsabimana
« Résilience » est une histoire commune que nous avons voulu partager avec vous à travers ma plume, a indiqué Alice Nsabimana à l’entame de la présentation du livre. Les témoignages de la fratrie dans cet ouvrage, répondent à plusieurs préoccupations familiales, dont celle d’honorer la mémoire d’un père qui a éduqué ses enfants sur les valeurs de l’amour du prochain, le respect et l’ouverture, mais aussi de perpétuer sa mémoire, en véhiculant ses idées auprès de ses petits-enfants, pour qu’ils apprennent à connaître leur grand-père, à connaître leur identité, l’identité rwandaise et celle de leur environnement.
« Résilience » apporte aussi un éclairage sur la vie privé familiale du général-major Nsabimana, que l’auteur du livre qualifie de « grand patriarche », au regard de ce qu’il représentait pour la grande famille qui comptait sur lui. «De nombreux témoignages de la famille, des amis, des collaborateurs qui l’ont connu sur le plan militaire et diplomatique, concourent à cette élévation d’un homme de paix et d’un patriote dans l’âme », a poursuivi Alice.
A travers « Résilience », les frères et soeurs expliquent le travail de reconstruction qu’ils ont accompli depuis le décès de leur père à ce jour, afin d’éviter de replonger dans les traumatismes du passé et aux souvenirs sombres du génocide. D’où la nécessité pour cette famille de s’ouvrir, de parler, de pardonner pour s’auto-guérir.
« Maman a été notre père, notre roc pendant toute cette période. Elle nous a porté un à un, et il était aussi important de lui rendre un hommage », a insisté Alice. « Elle nous a appris à aimer et surtout à pardonner, à chercher la paix pour chacun et surtout pour l’Afrique », a renchérie Josiane Nsabimana.
« Résilience » est aussi un récit qui aura permis aux frères et soeurs de faire la paix avec soi-même, avant de partager leurs histoires respectives, de souhaiter la paix et de la partager à leurs compatriotes rwandais mais aussi aux victimes indirectes de la tragédie qui à touché la région des Grands Lacs.
Cette soirée de présentation du livre était rythmée par de nombreux témoignages en mémoire du général-major Déogratias Nsabimana.
Ambassadeur Johan Swinnen
« Le 6 avril 1994 est le jour où la paix au Rwanda a été massacrée. Le résultat de tant d’efforts était battu en brèche. Votre papa y travaillait pendant 4 ans. Nous étions arrivés à un niveau où il y avait de l’espoir, l’espoir d’un Rwanda nouveau : les Accords d’Arusha étaient signés (aout 1993)», a rappelé Johan Swinnen, ancien ambassadeur belge au Rwanda de 1990 à 1994.
Les Accords de paix d’Arusha furent signés entre le pouvoir du président Juvénal Habyarimana et le Front patriotique rwandais pour permettre au Rwanda de sortir de la crise.
« Nous honorons la mémoire d’un des artisans de cette paix, de ces accords, de ces piliers sur lesquels allaient être construit l’avenir du Rwanda », a relevé M. Swinnen. Nous honorons la mémoire de tous ceux qui ne sont plus là, de tous les rwandais.
L’ambassadeur Swinnen a lancé un appel à continuer le combat de la vérité. « Je voudrais encourager tout le monde à contribuer à la recherche de la vérité parce que l’histoire du Rwanda doit être racontée dans toute sa vérité. Le Rwanda reste un pays ami. Cultivons cette amitié » a-t-il conclu.
Luc Marchal
Ancien militaire et 2ème personnalité de la mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (la MINUAR) de 1993-1994, Luc Marchal a salué la mémoire du général-major Nsabimana, un homme dit-il « lucide et courageux, qui pouvait faire la différence entre l’intérêt général et les intérêts partisans hérités du passé ».
M. Marchal a salué la disponibilité du général-major Nsabimana dans les contacts étroits entretenus, pour faire respecter le protocole d’accord entre les deux parties. « Malgré le contexte politico-militaire dans lequel il était confronté, son choix s’est porté sur un appui inconditionnel au processus de paix ».
« Il est plus que temps que la « realpolitique » qui est menée par nos gouvernements s’efface enfin au profit de la vérité et de la justice », a interpelé M. Marchal.
Pour Charles Onana, Politologue et journaliste d’enquête qui a travaillé et écrit pendant 20 ans sur le conflit rwandais (sa dernière publication sortie le 14 avril 2021 s’intitule: « Enquêtes sur un attentat – Rwanda 6 avril 1994 »), Déogratias Nsabimana était un général chevronné qui avait une vision très claire de la situation que connaissait son pays dans les années 1990. Il a marqué ses collaborateurs par sa clairvoyance, mais aussi ses efforts de stabilité qu’il a pu accomplir pour son pays.
« Il n’est pas normal qu’après 27 ans, qu’on ait pas arrêté ces gens qui ont commis cet acte de terrorisme dans lequel il y a eu deux chefs d’Etat en exercice assassinés, et que le général-major qui a péri dans ce crime ne puisse pas avoir avec sa famille, une consolation de la part de la justice » s’est offusqué Charles Onana.
« Si on ne veut pas savoir qui sont les instigateurs de cet acte du 6 avril, si on ne veut pas que les gens sachent pourquoi cet acte criminel a été commis, cela veut dire qu’on ne veut pas que la paix revienne au Rwanda, que les rwandais se réconcilient de façon sincère et objective », a poursuivi M. Onana.
« Résilience » vient donc rompre avec le silence et questionne à nouveau sur ces crimes de l’attentat du 6 avril 1994, bien que cela ne soit la démarche de la fratrie Nsabimana.
Selon M. Onana, « Résilience » est un travail fondamental, un travail d’histoire, un travail de sociologie politique mais aussi, une contribution à la réflexion intellectuelle pour permettre aux jeunes enfants de comprendre ce que leurs parents ont vécu, et qu’est ce qu’ils attendent aujourd’hui des institutions judiciaires.
Ancien Secrétaire à l’Etat-major des forces armées rwandaises jusqu’en 1994, Faustin Ntilikina, a également témoigné en relevant que, le général-major Nsabimana avait à sa charge, le programme « Ecole royale militaire » pour la formation élèves officiers de l’armée rwandaise et des officiers stagiaires rwandais, un programme qui a repris en 1975, après plusieurs années d’interruption.
« Fin psychologue et toujours à l’écoute des élèves officiers, il était à la fois notre éducateur, notre conseiller et notre consolateur et un chef militaire exigeant. Il était un père et un modèle de vie sociale » a conclu M. Ntilikina.
A travers « Résilience », la fratrie Nsabimana lance une fois de plus un appel à la réconciliation, au pardon à la paix et à l’amour du prochain.
Bien que justice n’est pas été rendue à ce jour à leur père, la famille ne perd pas cet espoir car dit-elle « la vérité passe par le feu mais elle ne brûle jamais » (en Kinyarwanda).
La soirée s’est poursuivie tout comme à l’accueil des invités par un moment de dédicace de l’auteur de l’ouvrage « Résilience ».